En ce qui concerne la France, l’Anses indique que son dispositif de nutrivigilance a enregistré plus de 100 signalements d’effets indésirables susceptibles d’être liés à la consommation de compléments alimentaires contenant du curcuma ou de la curcumine, dont 15 hépatites. C’est pourquoi l’agence a décidé de « s’autosaisir » pour identifier les risques potentiels liés à la consommation de compléments alimentaires contenant cette plante. L’occasion pour elle de rappeler en premier lieu que pour une consommation de curcumine sans risque pour la santé, l’Efsa** a fixé la dose journalière admissible (DJA) à 180 mg de curcumine par jour pour un adulte de 60 kg. « Au regard de cette dose, l’exposition de la population française par les aliments reste faible, avec 27 mg pour les grands consommateurs d’aliments à base de curcuma. », juge l’Anses. Mais ses experts jugent que pour que tous les apports alimentaires, compléments alimentaires inclus, ne dépassent pas cette DJA, la dose apportée par les compléments alimentaires doit rester inférieure à 153 mg par jour pour un adulte de 60 kg.
Reste que cette valeur n’est valable que pour les formulations de compléments alimentaires contenant de la curcumine sous forme classique. Or, dans son expertise, l’Agence a identifié un recours croissant à des formulations qui augmentent la biodisponibilité (vitesse et à l’importance du passage du principe actif dans la circulation générale) et donc les effets de la curcumine dans les compléments alimentaires, par exemple par l’association à d’autres ingrédients tels que la pipérine. « La curcumine est très peu biodisponible, c’est-à-dire qu’elle passe difficilement dans la circulation sanguine et qu’elle est éliminée très rapidement par l’organisme. Les industriels ont développé diverses formulations pour améliorer cette biodisponibilité et ainsi augmenter les effets de la curcumine. », explique Fanny Huret, la coordinatrice de l’expertise à l’Anses. En effet, les compléments alimentaires contenant du curcuma sous forme dite « classique » se caractérisent par la présence de poudre de rhizome de curcuma ou des extraits de curcuma enrichis ou non en curcumine.
Gare aux risques d’interactions médicamenteuses
Les formes nouvelles qui augmentent la biodisponibilité de la curcumine présentent quant à elles des associations de curcumine et de pipérine ou d’huile essentielle de curcuma, ou des formes plus élaborées : complexe phytosomal, micelle, nanoparticules colloïdales, encapsulation par cyclodextrines… L’Anses met donc en garde sur le fait que même si en apparence elles ne dépassent pas la DJA, ces nouvelles formulations peuvent induire un risque d’effets indésirables en augmentant la biodisponibilité de la curcumine dans l’organisme. Or, « l’étiquette du complément alimentaire précise rarement s’il s’agit d’une formulation classique ou nouvelle. », note l’Anses. Pour prévenir ce risque d’intoxication, l’agence demande donc aux fabricants de fournir les détails des données de biodisponibilité de leurs produits afin qu’une dose maximale d’apport journalier spécifique puisse être définie. Elle souligne de plus que l’étiquetage ne comporte pas de précision sur ces formulations spécifiques, ce qui peut conduire le consommateur à prendre à son insu une dose potentiellement toxique.
Les consommateurs doivent de leur côté se souvenir que les compléments alimentaires ne sont pas des produits anodins. Attention donc à la survenue de symptômes comme des malaises, de la fatigue, des symptômes digestifs et des perturbations hépatiques. Toujours est-il que le curcuma jouit toujours d’une réputation favorable auprès du public qui le perçoit comme un condiment inoffensif voire comme une plante dotée de vertus multiples, d’où son attrait pour ce type de compléments alimentaires. Pourtant, ce type de compléments alimentaires n’est pas sans risque pour une catégorie précise de population : les personnes souffrant de pathologies des voies biliaires. Leur prise est en effet déconseillée chez ces dernières car le curcuma possède des propriétés cholérétiques c’est-à-dire qu’il stimule la sécrétion de bile, indispensable à une bonne digestion. Enfin, l’Anses souhaite attirer l’attention des consommateurs sur les risques d’interaction de la curcumine avec certains médicaments tels que les anticoagulants, anticancéreux et immunosuppresseurs, dont l’efficacité ou la sécurité pourraient être altérées.
Aussi, ses experts déconseillent la consommation de compléments alimentaires en contenant aux personnes traitées par ces médicaments sans avis médical. Leurs conclusions soulignent l’importance, de manière générale, de discuter avec un professionnel de santé de la pertinence de consommer un complément alimentaire au regard de leur état de santé et de toujours lui signaler une consommation concomitante avec des médicaments en raison du risque d’interaction, sachant que mieux éviter également de consommer plusieurs compléments alimentaires à la fois. A noter que la revue médicale Vidal met aussi en garde le public sur ce sujet, et juge que « le curcuma est l’exemple typique de la faiblesse des études sur l’efficacité des substances d’origine naturelle (donc non brevetables). Plus de 120 études ont fait l’objet de publications scientifiques, mais aucune n’était suffisamment puissante pour en tirer des conclusions définitives. » Selon elle, si les articles scientifiques dithyrambiques ne manquent pas dans ce domaine, c’est souvent à l’initiative d’entreprises qui commercialisent le curcuma.