Les Congolais du Congo-Brazzaville sont appelés aux urnes ce dimanche 21 mars pour une élection présidentielle. 7 candidats sont en lice. Nous leur donnons la parole toute cette semaine. Aujourd’hui, RFI reçoit le porte-parole de Denis Sassou-Nguesso, le président sortant, qui est candidat à un quatrième mandat consécutif. Le ministre Anatole Collinet Makosso répond aux questions de Laurent Correau.
RFI : On sent bien, en lisant le programme de campagne de Denis Sassou-Nguesso « Ensemble, poursuivons la marche », à quel point le pays fait face à des difficultés économiques importantes. De quelle manière Denis Sassou-Nguesso envisage-t-il de sortir le pays de la récession ?
Anatole Collinet Makosso : En commençant par consolider la paix. Il vous souviendra qu’en 2016, notre marche avait connu un obstacle, avec la remise en cause du processus de paix dans le département du Pool, ce qui nous a conduits à sacrifier pratiquement deux ans à relancer le processus de reconstruction nationale, après la dégradation du chemin de fer, qui a coûté au pays près de 9 milliards de francs CFA par an. Il faut donc consolider ces efforts de paix, il faut relancer la croissance par la gestion optimale des recettes fiscales, la diversification économique, elle-même soutenue par le développement mécanisé et industrialisé de l’agriculture, la promotion de l’industrie touristique et culturelle.
Il y a quelques jours, le FMI a répété, dans un communiqué, que la dette du Congo restait insoutenable. Elle s’est élevée à 103% du PIB en 2020. Comment est-ce que l’on peut résoudre ce problème de la dette ?
Il y a quelque temps, la dette avait été ramenée à 73-74%. Je ne me lance pas dans la bataille des chiffres, mais je peux simplement vous dire que nous poursuivons nos négociations avec le Fonds monétaire international et nous pensons que nous arriverons, justement, à nous accorder sur cette bataille des chiffres et ce caractère soutenable ou non de la dette. Nous n’avons aucune inquiétude de ce point de vue.
Vous évoquiez, en ouverture de cette interview, la situation dans le Pool, qui, disiez-vous, a été quelque chose de très lourd pour l’économie congolaise. Pourquoi est-ce que le plan de reconstruction du Pool n’a pas été mis en œuvre pour l’instant ?
Il est mis en œuvre. Le processus a simplement été retardé, celui de la reconstruction notamment. On n’oublie pas quand même que, malgré cela, des efforts, des investissement importants, ont été consentis dans ce département. Dans tous les cas, nous travaillons pour un retour à la vie normale et à la relance des investissements dans ce département.
Il y a quelques jours, pourtant, le président du Conseil national des Républicains, l’ancien chef rebelle du Pool Pasteur Ntumi, a appelé à poser des actes concrets en faveur de l’application de cet accord de paix.
Il y a une différence importante à faire, entre la destruction en une minute et la construction en plusieurs années et en plusieurs décennies.
Mais l’opposant Guy Brice Parfait Kolélas, qui en revient, dit, lui, que rien n’a été fait sur cet accord.
Mais parce que l’opposant Guy Brice Parfait Kolélas n’est reparti dans le département du Pool qu’à la faveur de la campagne. On n’est donc pas surpris qu’il ne se rende pas compte de l’évolution. Il ne sait pas dans quel état toutes ses forces alliées, destructrices, avaient mis le département du Pool il y a cinq ans. Il ne le savait pas. Bien entendu, quand il repart aujourd’hui, il ne peut pas savoir quel a été le niveau d’évolution.
On lit un peu plus loin, dans le projet de société de Denis Sassou-Nguesso, que vous préconisez de renforcer l’État de droit, la stabilité et la démocratie. Est-ce que cela est possible, quand deux figures de l’opposition -Jean-Marie Michel Mokoko et André Okombi Salissa- restent en prison ?
Il n’y a, au Congo, aucun prisonnier pour délit d’opinion. Aucun prisonnier politique. Les cadres qui sont actuellement en prison, ne le sont pas pour leurs opinions, ne le sont pas pour s’être présentés à l’élection. Sinon Kignoumbi Kia Mboungou, Parfait Kolélas et bien d’autres, seraient aussi en prison. Ceux qui sont en prison le sont pour avoir posé des actes qui sont contraires aux lois et règlement de la République et il en est ainsi dans tous les pays du monde.
Le Conseil des droits de l’homme a pourtant estimé que la privation de liberté de Jean-Marie Michel Mokodo était arbitraire.
Je ne sais pas dans quel pays une organisation, fut-elle des droits de l’homme, peut se substituer aux lois et règlement, peut se substituer aux juridictions d’un État. Jean-Marie Michel Mokoko a été condamné à la suite d’un procès équitable, il est en train de purger sa peine. Et je pense que ceux qui prétendent défendre la cause de Jean-Marie Michel Mokoko ne lui rendent pas service, parce que lui-même ne leur a jamais demandé de défendre ainsi sa cause.
Dans son programme de campagne Denis Sassou-Nguesso préconise l’éradication d’un certain nombre d’anti-valeurs, comme la corruption, la concussion, le détournement de fonds, la fraude, le vol des biens… Quelle est l’ampleur que ces anti-valeurs ont pris dans l’administration ?
Nous luttons tous contre les anti-valeurs, contre la corruption, contre la concussion. Nous militons tous pour une transparence et une meilleure gouvernance. Il en est ainsi dans tous les pays du monde et le Congo ne saurait faire exception. Dans notre pays il y a des situations qui deviennent comme des légendes. Cela a commencé deux ou trois ans après l’indépendance. Le président Fulbert Youlou, prélat, prêtre de son état, a été accusé d’avoir tout volé, d’avoir placé de l’argent à l’étranger. Dès l’instant où les dirigeants sont aux affaires, ils sont aussitôt accusés de corrupteurs et de corrompus.
Denis Sassou-Nguesso a cumulé plus de trois décennies à la tête du pays, on parle de trente-six ans cumulés. Il brigue cette année un quatrième mandat. Est-ce que l’on peut encore porter un projet pour son pays, quand on a occupé le pouvoir aussi longtemps ?
Quand la chancelière allemande conservatrice, madame Angela Merkel, est à la tête du parti chrétien-démocrate et multiplie les mandats, il n’y a pas crise de légitimité, il n’y a pas longévité excessive au pouvoir. Alors on peut donc comprendre que la longévité au pouvoir d’un Européen ressemble à une bénédiction, selon vous, et celle d’un Africain est un scandale. Non, Denis Sassou-Nguesso a déféré à la réquisition populaire, parce qu’il est porteur d’un projet réel. Depuis qu’il est aux affaires il a des chantiers qu’il a commencés en 1979 : le désenclavement de l’arrière-pays. Il a conquis cette ambition, ce rêve dès son retour aux affaires, en ayant maillé le pays d’infrastructures. Il lui reste une grande bataille, c’est celle de l’agriculture, dont il a fait la priorité des priorités dans les années 1980 et au sujet de laquelle il constate que des efforts méritent encore d’être accomplis pour réduire la dépendance alimentaire.
Mais je vous repose ma question : est-ce que des projets qui ont été portés depuis 1979 ou depuis les années 1980 peuvent déboucher en 2021, s’ils n’ont pas encore débouché ?
Bien sûr que ce qui a été commencé peut-être poursuivi. Et c’est pourquoi, le projet est intitulé « Poursuivons la marche ». Le pays dans lequel vous êtes n’a pas été construit en vingt-trente-quarante-cinquante ans. C’est un long processus et Denis Sassou-Nguesso joue sa partition. Il voudra au moins atteindre les trois objectifs, les trois rêves qu’il s’était donnés depuis les années 1980, à savoir : unifier le territoire par les infrastructures -et cela, c’est acté-, garantir la santé publique -c’est acté-. Il lui reste la bataille de l’autosuffisance alimentaire, telle qu’il la souhaitait depuis les années 1980.