Les violences lors des manifestations contre une réforme fiscale en Colombie ont fait une vingtaine de morts et plus de 800 blessés. Le ministre des Finances a démissionné lundi face à une mobilisation qui ne semble pas faiblir.
Mon maintien au gouvernement rendrait difficile l’édification rapide et efficace des consensus nécessaires
pour mener à bien une nouvelle proposition de réforme, a déclaré Alberto Carrasquilla, ministre depuis l’arrivée au pouvoir du président Ivan Duque en août 2018. Il est remplacé par l’économiste José Manuel Restrepo, jusque-là ministre du Commerce.
Le chef de l’État avait annoncé dimanche le retrait de ce projet pour en élaborer un nouveau, après cinq jours de protestations qui se sont soldés par la mort de 18 civils et d’un policier, selon le Défenseur du peuple, entité publique de protection des droits.
Le ministère de la Défense a pour sa part fait état de 846 blessés, dont 306 civils. En outre, 431 personnes ont été interpellées au cours des troubles qui, depuis le 28 avril, ont émaillé certaines manifestations, bien que la plupart aient été pacifiques.
Alors que le gouvernement a déployé l’armée en renfort dans les villes les plus touchées, plusieurs ONG ont accusé la police d’avoir tiré sur des civils.
De son côté, le ministre de la Défense Diego Molano a affirmé que les incidents violents étaient prémédités, organisés et financés par des groupes dissidents des FARC
, qui ont rejeté l’accord de paix signé en 2016 par l’ex-guérilla marxiste, ainsi que par l’Armée de libération nationale (ELN), considérée comme la dernière rébellion de Colombie.
Il a par ailleurs dénoncé des dégâts causés à 313 établissements commerciaux, 94 banques, 69 stations de transports publics, 36 guichets bancaires automatiques et 14 péages routiers.
Sous la pression des manifestations massives le 28 avril, et qui se sont répétées les jours suivants avec une ampleur diverse selon les villes, le président conservateur avait annoncé dimanche le retrait de la réforme fiscale, en cours d’examen au Parlement.
Il avait précisé qu’il présenterait un nouveau texte, excluant les points les plus contestés, dont une hausse de la taxe sur les biens et les services, ainsi que l’élargissement de la base d’imposition sur les revenus.
Le projet initial a suscité de fortes critiques. L’opposition, les syndicats et même des représentants du parti au pouvoir ont estimé qu’il visait trop la classe moyenne et l’ont jugé inopportun, car la pandémie aggrave la crise économique.
En dépit du retrait annoncé, plusieurs centaines de manifestants sont à nouveau descendus lundi dans les rues de Bogota, Medellin, Cali et Barranquilla.
Le Comité national de grève, à l’origine de la mobilisation initiale, a appelé à manifester à nouveau mercredi, bien que la plupart des grandes villes soient sous le coup de restrictions de déplacement, le pays traversant une troisième vague de contagions à la COVID-19 avec à ce jour plus de 2,9 millions de cas, dont plus de 75 000 décès.
Parmi ceux qui ont dénoncé la répression disproportionnée des manifestations, le directeur de Human Rights Watch (HRW) pour les Amériques, José Miguel Vivanco, a confirmé la mort d’une personne aux mains de la police à Cali, troisième ville du pays et l’une des plus concernées par les troubles de ces derniers jours.
L’ONG colombienne Temblores a pour sa part répertorié 940 cas de violences policières et précisé que la mort de huit manifestants présumément attaqués par des policiers
faisait l’objet d’une enquête.
Le gouvernement a présenté son projet de réforme fiscale le 15 avril au Parlement. Il entend accroître les recettes de l’État de l’équivalent de 6,3 milliards de dollars supplémentaires entre 2022 et 2031, pour financer les dépenses publiques.
La quatrième économie d’Amérique latine connaît sa pire crise en un demi-siècle, avec une chute du produit intérieur brut (PIB) de 6,8 % en 2020 et un chômage officiel de 16,8 % en mars.
Alors que près de la moitié de la population active de ce pays de 50 millions d’habitants vit de l’économie informelle, la pauvreté s’est aggravée à 42,5 %.